Comment une fiscalité progressive peut permettre de récolter des milliers de milliards pour lutter contre le changement climatique

Un nouveau rapport révèle que les pays développés pourraient lever 2 000 milliards de dollars par an pour financer la lutte contre le changement climatique en augmentant de quatre points leur ratio impôts/PIB.

Bien qu’ils ne soient responsables que d’une infime partie des émissions de gaz à effet de serre, les pays africains sont parmi les plus touchés par la crise climatique et les moins en mesure d’y faire face financièrement. Les communautés vulnérables sont dévastées par les cyclones, les sécheresses, les inondations et les vagues de chaleur et ont besoin de mesures d’adaptation urgentes. Pourtant, le surendettement auquel sont confrontés plus de la moitié des pays africains signifie qu’une grande partie de leurs budgets limités est consacrée au simple service de la dette.

Si les pays les moins responsables de la crise climatique sont les plus touchés, les plus responsables – les pays riches et les entreprises qui dépendent des combustibles fossiles et de l’agriculture industrielle – se dérobent à leurs responsabilités. Bien que les pays riches devraient avoir tardé à honorer leur engagement de fournir 100 milliards de dollars par an en 2022 pour financer la lutte contre le changement climatique, une grande partie de cette somme a été versée sous forme de prêts plutôt que de subventions. Résultat : les pays vulnérables au changement climatique s’endettent encore davantage, ce qui crée des incitations perverses à accroître l’extraction des combustibles fossiles pour rembourser ces prêts.

Ce système défaillant exige une nouvelle approche qui garantisse une augmentation considérable du financement des réponses mondiales au changement climatique.

Un nouveau rapport d’ActionAid révèle que la justice fiscale offre une voie vers la levée de fonds pour lutter contre le changement climatique. Le rapport intitulé Trouver les financements : la justice fiscale et la crise climatique montre qu’avec des impôts ambitieux et progressifs ciblant les plus gros et les plus riches pollueurs, les pays riches peuvent lever les milliers de milliards qui donneront à notre planète et à ses habitants une chance de lutter contre la crise climatique.

En augmentant leur ratio impôts/PIB de 4 %, les pays développés pourraient lever plus de 2 000 milliards de dollars par an pour financer la lutte contre le changement climatique. Cela peut paraître beaucoup, mais il existe déjà une différence de 26 % entre le ratio impôts/PIB de l'Irlande (21,9 %) et celui du Danemark (48 %). Une augmentation de 4 % est tout à fait réalisable.

Une série de mesures progressistes, tenant compte des questions de genre et du climat, qui s’attaquent à l’évasion fiscale et ciblent les hauts revenus et les grandes entreprises, permettraient de faire en sorte que les plus riches et les principaux responsables du changement climatique en supportent le fardeau. Comme le souligne le rapport, il pourrait s’agir d’impôts sur la fortune, d’impôts fonciers, d’impôts sur les plus-values ​​et les successions, d’impôts sur le commerce et le numérique, ainsi que d’impôts sur le revenu des personnes physiques et des sociétés. Chaque pays devrait utiliser une combinaison différente de mesures pour augmenter équitablement son ratio impôts/PIB.

Une fiscalité équitable peut également aider les pays en développement à augmenter leurs recettes fiscales. Cependant, les pays africains sont depuis longtemps contraints de fixer leurs taux d’imposition nationaux par l’OCDE, le club des pays riches qui contrôle actuellement le cadre fiscal mondial. Cette situation profondément injuste signifie que les entreprises internationales sont à peine imposées en Afrique alors même qu’elles tirent des profits faramineux de nos ressources.

Il y a de l’espoir que cela change bientôt. L’année dernière, l’ONU a accepté d’élaborer une Convention-cadre des Nations Unies sur la fiscalité, comme le préconisent les pays africains. Les négociations sont toujours en cours sur son fonctionnement, mais les premiers signes sont positifs quant à la possibilité qu’elle transforme les règles mondiales de manière à aider tous les pays à accroître leurs recettes fiscales grâce à des réformes progressives et respectueuses du climat. Cela ferait une énorme différence dans la capacité des pays en développement à mobiliser des ressources nationales pour des priorités vitales. Comme le montre également le rapport d’ActionAid, si les 60 pays les plus vulnérables au climat augmentaient leur propre ratio impôts/PIB de 5 %, cela pourrait rapporter plus de 300 milliards de dollars par an. Cela pourrait et devrait être réalisé grâce à la même série de réformes fiscales progressives que celles proposées pour les pays riches, en veillant à ce que le fardeau ne pèse pas injustement sur les plus pauvres, une erreur qui a récemment déclenché de vastes manifestations au Kenya.

La nouvelle Convention-cadre des Nations Unies sur la fiscalité offre également l’occasion d’une action coordonnée à l’échelle mondiale pour introduire une série de taxes mondiales qui pourraient rapporter des milliers de milliards de dollars grâce à des mesures telles que les impôts sur les bénéfices exceptionnels, les impôts sur la fortune, des taux d’imposition plus élevés sur les revenus du 1 % le plus riche et les taxes sur les transactions financières, ainsi que par le biais d’une série de taxes sur le carbone et les dommages climatiques, notamment sur l’aviation et le transport maritime.

En s’attaquant aux échappatoires fiscales, en luttant contre les flux financiers illicites et en mettant en place des régimes fiscaux plus équitables, de vastes ressources peuvent être débloquées pour l’action climatique nécessaire à la survie de notre planète. Il y aura toujours une résistance, comme nous l’avons vu de la part des pays riches de l’OCDE, qui bénéficient le plus des règles fiscales mondiales actuelles et qui ont tenté de bloquer une nouvelle convention-cadre des Nations Unies sur la fiscalité. Mais la dynamique en faveur d’une réforme radicale est forte et les pays de l’OCDE ont été systématiquement mis en minorité à l’Assemblée générale des Nations Unies.

Imaginez les infrastructures de renforcement de la résilience, les systèmes d’alerte précoce, les énergies renouvelables, les transports publics et les systèmes agricoles durables qui pourraient être financés avec cet argent. Imaginez les communautés autonomes qui s’adaptent au changement climatique au lieu de s’y soumettre. Certains pourraient arguer qu’il s’agit d’un problème interne aux nations africaines. Cependant, l’exploitation historique, les pratiques commerciales déloyales et les régimes fiscaux mondiaux biaisés qui persistent contribuent de manière significative aux ressources financières limitées du continent. La justice climatique exige que les principaux responsables de la crise assument leurs responsabilités et agissent.

L’imposition progressive ne se résume pas à une simple collecte de fonds. Elle vise à faire passer un message clair : ceux qui ont le plus bénéficié du système à l’origine de cette crise ont l’obligation morale de contribuer à sa résolution. Il s’agit d’une responsabilité partagée au sein des nations et à travers le monde.

Les gouvernements et la société civile africains doivent faire pression pour que des réformes fiscales progressives soient mises en œuvre dans le cadre de la nouvelle Convention-cadre des Nations Unies sur la fiscalité, et au niveau national. Les pays riches doivent soutenir ces efforts et reconnaître leur responsabilité historique. La crise climatique exige une réponse mondiale, et la véritable justice consiste à donner à l’Afrique les moyens de tracer sa propre voie pour sortir de cette crise.