Les pièges de la médiation : comment les pourparlers de paix de Djeddah compliquent la politique soudanaise

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La médiation de Djeddah, initiée l'année dernière dans l'espoir de résoudre le conflit en cours au Soudan, a au contraire considérablement approfondi les divisions du pays et prolongé par inadvertance le conflit. Lancée en mai 2023 dans un contexte d'escalade des tensions entre les Forces armées soudanaises (SAF) et les Forces de soutien rapide (RSF), la médiation visait à protéger les civils et à garantir l'accès humanitaire. Malgré de nombreux cycles de négociations, les pourparlers ont souvent été suspendus en raison de violations persistantes et de désaccords sur les termes, ne parvenant finalement pas à garantir un cessez-le-feu durable ni à faciliter la sécurité des couloirs d'aide humanitaire. Plus d’un an plus tard, la violence persistante a transformé les zones urbaines en zones de guerre, entraînant des pertes massives de vies humaines et des déplacements de population sans précédent. Avec des milliers de civils tués, de nombreux autres blessés et des millions de personnes chassés de leurs foyers, le Soudan est confronté à « l'une des pires catastrophes humanitaires de mémoire récente », sans aucune résolution prévisible du conflit.

Alors que l’envoyé spécial américain au Soudan a annoncé son intention de reprendre la médiation de Djeddah, il devient essentiel de remédier aux lacunes des cycles précédents de ces pourparlers. La conception et la structure de la médiation de Djeddah ont contribué à prolonger le conflit de trois manières significatives.

Premièrement, la stratégie des médiateurs de Djeddah s'est concentrée sur l'obtention d'un cessez-le-feu et la coordination des efforts humanitaires. Ils ont spécifiquement invité les dirigeants des SAF et de RSF à envoyer des équipes de négociation à Djeddah. Les médiateurs ont déclaré que Djeddah n'accueillerait pas de discussions politiques, prévoyant d'engager des civils seulement après l'établissement d'un cessez-le-feu. Malgré cette intention, la stratégie a affecté de manière inattendue la neutralité des groupes armés au Darfour. Après avoir maintenu leur neutralité pendant six mois, les dirigeants de trois factions importantes – Minni Minawi, Gibril Ibrahim et Mustafa Tambour, entre autres – ont publiquement abandonné leurs positions neutres.

Le paysage politique du Darfour reste majoritairement contrôlé par des groupes armés, malgré les nombreux accords de paix conclus au cours des deux dernières décennies. Cette domination témoigne de l’interaction complexe des forces militaires et politiques au sein de la région, que le cadre de Djeddah n’a pas encore traité efficacement. L’absence d’une sphère politique civile au Darfour, ainsi que l’accent mis par le cadre de Djeddah sur les SAF et les RSF, sans impliquer directement les groupes armés locaux, ont incité nombre de ces groupes armés à abandonner leur neutralité et à se ranger du côté des SAF ou des RSF. Ce réalignement était principalement motivé par leur désir de garantir une participation dans tout futur accord politique au Soudan, le présentant comme la seule option réalisable compte tenu des limites du cadre. La formation de ces alliances aurait pu être différente si les médiateurs avaient effectivement élaboré ou communiqué des stratégies claires pour engager les factions armées du Darfour.

Deuxièmement, un défaut important dans la structure de médiation de Djeddah est la déconnexion entre le cessez-le-feu et les négociations politiques, faute de mécanisme pour combler ces éléments. Créée à la hâte trois semaines après le début du conflit, la mise en place initiale rapide était compréhensible. Cependant, le recours continu à ce format sans progrès sur un plan de séquençage politique a marginalisé les acteurs civils et légitimé par inadvertance les dirigeants des SAF et des RSF. Cela a conduit à une militarisation du discours civil, les entités militaires façonnant de plus en plus les agendas civils. Par conséquent, la plupart des nouvelles alliances politiques reflètent cette voix militarisée, renforçant l’autorité et la légitimité militarisées.

Enfin, un résultat crucial de la stratégie de médiation de Djeddah est la politisation de l’aide pour obtenir une légitimité de facto. Les médiateurs ont introduit des mesures de renforcement de la confiance, notamment un forum humanitaire dirigé par l'ONU, auquel les SAF et RSF se sont associées avec d'autres organisations internationales pour améliorer la fourniture de l'aide. Pourtant, malgré son annonce en novembre 2023, ce forum n’a pas convoqué sa première réunion. Néanmoins, la simple configuration du forum, dépourvue de mesures de contrôle et de responsabilisation, a incité les parties belligérantes à intensifier leurs efforts pour obtenir davantage de contrôle territorial tout en s'engageant dans un jeu de reproches. En conséquence, les parties en conflit non seulement entravent l’accès à l’aide, mais l’exploitent également pour renforcer leur légitimité internationale.

Initialement, les combats entre les SAF et les RSF se sont concentrés sur les bases militaires, les lignes de ravitaillement et les lieux symboliques tels que les stations de télévision et de radio. Cependant, RSF a depuis réorienté sa stratégie vers le ciblage des routes de distribution de l’aide, en attaquant spécifiquement la route nouvellement établie par l’ONU, reliant Port-Soudan à El Fashir via Atbara et Malit. Ce changement reflète la volonté des RSF de s'affirmer comme une autorité de facto en contrôlant les flux d'aide destinés à près d'un million de personnes déplacées à l'intérieur du Darfour Nord, s'écartant ainsi de sa stratégie précédente consistant à éviter des affrontements à grande échelle avec les groupes armés du Darfour. Il convient de noter que tout au long de l’année de conflit, les RSF, qui s’étaient auparavant abstenues de mettre en place des structures de gouvernance dans les zones sous leur contrôle, ont créé leur propre agence de secours et humanitaire.

Les pourparlers de paix de Djeddah résument les défis inhérents à la médiation de conflits profondément enracinés dans lesquels de multiples acteurs, y compris des civils, rivalisent pour être reconnus et influencés. Cependant, la stratégie de médiation actuelle semble en décalage avec les dynamiques nuancées sur le terrain. Au Soudan, parvenir à la paix est semé d’embûches, nécessitant une réévaluation des stratégies pour garantir qu’elles répondent réellement aux besoins de tous les Soudanais, essentiels à une stabilité durable.