Au pouvoir depuis 41 ans, le président de 90 ans a gouverné principalement par contumaceune incarnation fantomatique d’une gérontocratie qui a donné à son peuple le concept de Attente.
Dans une tournure inattendue, le président Paul Biya du Cameroun, un dirigeant nonagénaire chevronné, s’est présenté en excellente santé au «Sommet pour un nouveau pacte financier mondial» à Paris à la fin du mois dernier. Auparavant, ses longs séjours en Suisse avaient suscité de vives polémiques chez les Camerounais. De nos jours, cependant, sa présence (ou son absence) au Cameroun est bien plus énigmatique que ses pérégrinations passées à l’étranger.
Souvent, on me demande : « Qu’est-ce qui nous attend après Biya ? Ma réponse est généralement déconcertante : nous devrions lutter pour un monde où « après » ne se manifeste jamais, neutralisant efficacement l’héritage de Biya. Son influence devrait être aussi nébuleuse que sa présence, une figure spectrale d’une époque définie par une absence flagrante de leadership affirmé. Il est décourageant de voir comment les Camerounais se sont adaptés à cette dictature cryptique, reconnaissant silencieusement leurs échecs collectifs. Dans les arènes frénétiques des réseaux sociaux, les Camerounais dégagent un ressentiment silencieux envers l’Occident, avec toute ingérence française, comme le blocage de la visite de l’ambassadeur français des droits LGBT+, Jean-Marc Berthon, considérée avec suspicion. Effacer la règle éthérée de Biya semble donc être une entreprise herculéenne.
L’ère après Biya s’apparente à la navigation sur un territoire inexploré. Lorsqu’une structure politique est ancrée dans la stabilité, comme Biya l’a si méticuleusement assuré, il est difficile d’envisager un avenir sans son architecte. Notre chef semble désirer un clone, un remplaçant politique qui puisse perpétuer son règne depuis l’au-delà.
En conséquence, la bataille de la succession a trouvé sa place sur les réseaux sociaux, déclenchant un tourbillon de complots, de trahisons et de manœuvres politiques. Nous semblons nous diriger vers une succession à double tranchant : l’inévitable exécution des désirs de Biya (canalisés par un successeur), suivie du choix générique du peuple, un coup du sort imprévisible. Notre société semble être prise dans les affres d’un drame politique darwinien, où les puissants s’attaquent aux faibles, un spectacle horriblement présenté dans la chute d’espoirs présidentiels apparemment faibles. Répression, exil social et opérations de « purification » diverses sont les dures réalités de cette « survie du plus fort » politique.
Le règne de Biya touche à sa fin, une proclamation qui fait écho depuis des années. Il est quelque peu farfelu de se rendre compte qu’au moment où vous lisez ceci, il pourrait être à la barre pendant encore une décennie. Le personnage qu’il projette pour la postérité reflète une caricature vilaine, un leader impitoyable imposant le français à la population anglophone contre leur anglais hérité. Cette dure dissonance présente la notion de successeur comme une lueur d’espoir à l’horizon.
L’équilibre ténu du pouvoir est souvent considéré comme une simple dictature, mais c’est un paysage beaucoup plus complexe. Elle se manifeste dans plusieurs cas d’échec administratif, qu’il s’agisse d’un excès ou d’un manque. L’absentéisme chronique de Biya en est un exemple. Son absence constante a laissé la majorité patauger pour combattre un fantôme, marquant la victoire de l’ignorance sur la sagesse. Le seul rouage efficace de cette machinerie de gouvernance est celui qui assure la continuité présidentielle, ce qui paradoxalement atténue le chaos social qui en découle.
Néanmoins, une lueur d’espoir existe dans la contre-utopie de la « main noire ». Les opérations secrètes du renseignement national sont nuancées, perceptibles uniquement par les « happy few ». Les champions non sanctionnés de la cause africaine sont omniprésents. Bien que l’Afrique puisse feindre la défaite, elle nourrit secrètement une intelligence secrète, aiguisant silencieusement son arme secrète pour la confrontation finale.
Un cliché colonial persistant parmi les Africains est : « Si vous voulez cacher quelque chose à un Africain, mettez-le par écrit ». Cependant, les Africains eux-mêmes retiennent souvent les connaissances critiques de la forme écrite. Les livres sont traités comme une crypte, un sanctuaire pour sauvegarder le savoir. Ils restent silencieux, invisibles, absents, pour mieux garder leur roi exposé. Pour un Camerounais cherchant à se distinguer ou à servir, le refuge est souvent cherché à l’étranger. Le terrain local semble truqué contre le succès. Malgré les obstacles à l’étranger, la victoire reste accessible. Dans leur pays natal, la vie équivaut à une valse implacable avec la mort, une existence épuisante marquée par la résilience et savourée au passage. Au final, tout comme Biya, on apprend que c’est l’absence qui laisse parfois la marque la plus profonde.
J’attribue en partie cette situation au phénomène connu sous le nom de Waithood. L’attente s’étend au-delà de l’individu pour représenter une réalité systémique qui transcende l’âge, incarnant un longue durée approche. Ce terme, emprunté au Ecole des Annales, souligne l’importance des perspectives historiques à long terme sur les événements individuels. Dans le contexte de Waithood, cette « longue durée » se manifeste à travers l’héritage des rôles publics et des mandats perpétuels.
Paul Biya affiche fièrement ses 90 ans dont 41 passés à la présidence de la République. Luc Ayang, déjà Premier ministre en 1983, est président du Conseil économique et social sans interruption depuis 1984. Jacques Fame Ndongo, membre du gouvernement depuis 1998, occupe le poste de ministre de l’Enseignement supérieur depuis plus de deux décennies. Cavaye Yeguié Djibril est président de l’Assemblée nationale depuis 1992. Niat Njifendji, qui a été directeur général de l’entreprise publique d’électricité pendant vingt-sept ans et ministre et vice-Premier ministre, est, à 88 ans, président de le Sénat, poste qu’il occupe depuis sa création.
Alors que la loi limite à neuf ans le mandat d’un directeur général à la tête d’une entreprise publique, dans la pratique, la plupart l’ont fait pendant plus de vingt ans. Certains ministres, comme on l’a vu en 2023, décèdent pendant leur mandat sans aucun ajustement gouvernemental ultérieur. Ces postes de longue date, occupés par les mêmes individus, traduisent une monopolisation des ressources, créant ainsi un goulot d’étranglement qui étouffe la mobilité ascendante des jeunes générations. En conséquence, Waithood devient moins une phase de transition qu’un piège où les jeunes, malgré leur force et leur nombre, sont tenus à distance. Le relais du leadership, au lieu d’être transmis, est saisi, conduisant à un état de stase, un « état stationnaire ».
Dès lors, le caractère national du Cameroun, et plus largement la morphologie sociale de l’individu subsaharien, sont façonnés par une capacité à se retenir d’agir, à repousser sans cesse les limites de la tolérance jusqu’aux extrêmes de l’endurance, et à faire face à une vie de la pauvreté. Cet état de fait se perpétue à travers une hybris basée sur des comparaisons non sincères : « Que vaut la démocratie quand on observe ce qui se passe ailleurs ? « Le vrai bonheur se trouve ici ! » « L’Égypte n’était-elle pas noire ?