Un homme pousse une brouette de déchets le long de la baie de Hann à Dakar le 22 novembre 2023. La baie de Hann, qui s’étend sur environ 14 kilomètres, était autrefois connue comme l’une des plus belles baies d’Afrique de l’Ouest, bordée de villages de pêcheurs traditionnels, de villas, et les attractions touristiques. (Photo de JOHN WESSELS/AFP via Getty Images)
Sur la longue plage de la baie de Hann, à Dakar, au Sénégal, un personnage solitaire, muni d’une pelle et d’une brouette, ramasse inlassablement des monticules de détritus en quantité telle que la tâche prend un air presque mythologique.
L’odeur est âcre. A quelques mètres de l’homme, un tuyau transporte dans l’Atlantique un mélange noir d’eaux usées ménagères et industrielles.
Autrefois considérée comme l’une des plus belles criques de toute l’Afrique, cette ancienne étendue idyllique de sable fin d’environ 20 km de long, adjacente au port de Dakar, est devenue le dépotoir d’une population croissante et d’une industrie en constante expansion.
La majeure partie de l’industrie manufacturière sénégalaise se trouve le long de la baie et y déverse directement ses déchets. La pollution des océans atteint des niveaux inquiétants.
Le gouvernement promet de nettoyer la zone depuis plus de 20 ans.
Et un projet de nettoyage lancé en 2018 avec le soutien financier de l’Agence française de développement, d’Invest International, de la Banque chinoise de développement et de l’Union européenne est au point mort.
L’Agence nationale de l’assainissement vient d’annoncer la reprise des travaux suspendus depuis des mois. Les habitants réclament depuis longtemps un réel changement.
« Cela fait des années qu’on nous dit qu’il y a un projet, mais rien ne change. Je n’y crois plus », a déclaré Daouda Kane, assis au bord de la mer.
A quelques mètres de là, une femme déverse les restes de sa marmite sur le rivage qui regorge d’insectes.
« Ici, vous jetez vos filets et vous rapportez des détritus, et vous tombez malade », Modou Ndong.
À certains endroits, il est presque impossible de voir le sable sous les déchets. Tous les quelques centaines de mètres, un tuyau d’égout se déverse dans la mer, rendant l’eau rouge sang au bout du tuyau de l’abattoir et noire comme le noir provenant de l’industrie chimique et de la tannerie.
Quiconque s’approche trop près ressentira une brûlure dans la gorge.
Amidou Sonko, spécialiste de la mer à l’Institut national de recherche pour le développement durable, a confirmé la « forte toxicité » de la zone. Ses analyses ont révélé des concentrations de bactéries E coli 13 à 100 fois supérieures à la limite autorisée, ainsi que la présence de salmonelles.
Il a également observé des quantités d’entérocoques, de microplastiques, d’aluminium, de chrome et de zinc dépassant largement les normes. De tels niveaux constituent une menace pour la peau, les poumons et les yeux humains, mais aussi pour la biodiversité, a-t-il déclaré.
Le développement de certaines espèces est également affecté dans ce vivier naturel de poissons.
Néanmoins Seyni Badiane nage avec ses filles âgées de deux et cinq ans à environ 30 mètres d’un canal qui déverse une eau verte.
« C’est la seule plage du quartier, alors nous venons ici », a-t-il déclaré. « Nous sommes Africains, donc nous y sommes habitués. »
Mbacké Seck, qui milite depuis plus de 25 ans pour nettoyer la plage et les eaux avoisinantes, a déploré : « Nous ne pouvons pas comprendre ce retard. Le besoin est là, l’argent est là. Le mal sur notre vie quotidienne est là. Qu’est-ce qui empêche ce projet d’aller de l’avant ?
Une entreprise française, Suez, construit une station d’épuration sur le littoral pour traiter 26 000 mètres cubes par jour pour 500 000 habitants. Il devait entrer en service début 2025, selon l’agence française de développement AFD, l’un des principaux bailleurs de fonds.
Mais une partie des travaux a été suspendue depuis plus d’un an et demi après la faillite de l’entreprise chargée de poser la canalisation principale reliant la zone portuaire à la station d’épuration, a indiqué Alassane Dieng, coordinateur du projet à l’agence nationale de l’assainissement.
« La grande difficulté est de convaincre l’industrie de participer », a déclaré Dieng, bien qu’elle occupe 63 % de la zone urbaine selon une étude de 2018.
Selon ce plan, les différentes industries seront raccordées au réseau à condition d’installer des unités de prétraitement et de payer une redevance industrielle.
S’ils ne respectent pas les règles, une taxe sur la pollution « très dissuasive » est prévue, bien plus élevée que celle en vigueur aujourd’hui, a prévenu Dieng, qui a précisé que le projet serait achevé d’ici la fin de l’année prochaine.
En attendant, les baigneurs utilisent Hann Bay à leurs risques et périls.
-AFP