La crise vue de Juba : le chemin vers la résolution

Compte tenu de leurs liens historiques forts et des antécédents de Juba, quel est l’argument de Juba pour arbitrer le conflit au Soudan ?

Le président Salva Kiir Mayardit rencontre le chef militaire soudanais, le général Abdel Fattah Al-Burhan à Juba, le 19 février 2023. (Photo avec l’aimable autorisation : Bureau du président, République du Soudan du Sud).

Avec plus de 500 ethnies indigènes africaines, le Soudan est nécessairement fondé sur sa diversité ethnique. Malgré sa richesse en ressources humaines et naturelles, elle se trouve cependant à la croisée des chemins. La guerre, caractéristique constante de nombre de ces groupes qui occupent la périphérie, est arrivée, après 67 ans, à Khartoum. Ironiquement, c’est de là que ça vient toujours.

La cause profonde de la crise soudanaise est l’identité conflictuelle du pays, qui a produit le système de privilèges et d’exclusion concentré à Khartoum, la capitale nationale. Le déséquilibre des pouvoirs, favorisant les trois groupes ethniques arabes riverains autoproclamés du pays par rapport à de nombreux autres, a créé un fossé entre les groupes privilégiés et marginalisés, déclenchant une cascade de conflits.

La dynamique du pouvoir au Soudan a conduit à la guerre dans le Sud, mais la structure du pouvoir de Khartoum a refusé de s’attaquer aux causes profondes. Au lieu d’aborder la question fondamentale, la partition du pays a été considérée comme une solution, conduisant à la sécession du Sud. Il n’est donc pas surprenant que la guerre se soit étendue au nord, l’armée utilisant des forces paramilitaires pour réprimer la discorde ethno-régionale au Darfour, dans les monts Nouba, le Nil bleu et d’autres régions.

Cette approche, motivée par l’incapacité persistante à s’attaquer au problème central, risque désormais de fragmenter le pays d’une manière qui rappelle les Balkans ; ces mêmes forces paramilitaires, armées, organisées et déployées par le gouvernement, se sont maintenant retournées contre leurs payeurs déclarant qu’elles ont compris et qu’elles défendent désormais la cause des communautés ethniques marginalisées.

Quelle est alors l’alternative à la balkanisation du Soudan ? Un véritable engagement à résoudre le problème fondamental. Pourtant, l’incapacité des acteurs internationaux à faciliter une résolution, motivés principalement par leurs intérêts étroits, reste un obstacle important. Il est dans l’intérêt du Soudan, de la région et du monde d’évaluer honnêtement la situation actuelle des acteurs internationaux qui prétendent aider le Soudan au moment où il en a le plus besoin.

Le fait indéniable demeure que le Soudan du Sud, ancré dans une histoire, une culture et un contexte partagés avec le Soudan, est particulièrement bien placé pour contribuer à une résolution viable de la crise. Le courtage réussi du Soudan du Sud Accord de paix de Juba démontre cette position. Néanmoins, il est lamentable que le potentiel du Soudan du Sud ait été négligé, notamment par Washington, dont le rôle à la fois ouvertement et subrepticement dans la négociation d’accords de paix au Soudan ne peut être exagéré.

Le processus de paix de Djeddah, négocié par l’alliance américano-saoudienne, illustre l’attention mondiale portée au conflit soudanais en cours. Malgré ses bonnes intentions, l’initiative révèle un manque fondamental de compréhension du problème central du Soudan, créant des lacunes qui pourraient potentiellement saper son succès.

Les intérêts internationaux et l’exclusion de voisins immédiats comme le Soudan du Sud, qui ont une compréhension plus profonde du contexte soudanais, aggravent ces défis. Exemple : six proclamations de cessation humanitaire des hostilités ont été faites depuis le début des combats entre les Forces armées soudanaises (SAF) et les Forces de soutien rapide (RSF), dont aucune n’a été respectée ou mise en œuvre.

Nonobstant leurs intérêts géopolitiques, des blocs régionaux comme l’IGAD peuvent rencontrer des obstacles similaires en raison de leur compréhension limitée du problème fondamental du Soudan. La dépendance vis-à-vis des ressources étrangères compromet davantage leur indépendance, leur engagement et leur pertinence pour la reconstruction du Soudan.

Dans ce contexte, la République du Soudan du Sud, dirigée par le Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM) sous la houlette de Son Excellence Salva Kiir Mayardit, Président de la République, apparaît comme un médiateur crédible. Notre compréhension mutuelle, l’absence d’ambitions idéologiques, territoriales ou de ressources, et l’intérêt stratégique mutuel pour la sécurité régionale et la coopération économique nous positionnent de manière unique pour aider à traverser cette crise.

La vision du « Nouveau Soudan », créée par le SPLM, favorise l’inclusivité, accommodant à la fois le centre et la périphérie, une exigence cruciale pour la reconstruction démocratique du Soudan. Il convient de noter que le gouvernement du Soudan du Sud est intervenu rapidement après l’éviction du président Omer Hassan El-Bashir en 2019. Malheureusement, les alliés occidentaux ont préféré l’implication de l’Union africaine à la nôtre, créant le Conseil souverain et la Charte constitutionnelle. Ce dernier, dépourvu de garanties claires de partage du pouvoir, a indirectement conduit au coup d’État d’octobre 2021.

L’initiative de paix de Juba, lancée par le gouvernement du Soudan du Sud, visait à favoriser le dialogue entre le gouvernement de transition du Soudan et le Front révolutionnaire soudanais (SRF), un conglomérat de divers mouvements armés et non armés. Ce processus politique novateur a établi l’Accord de paix de Juba. Ce document révolutionnaire s’est attaqué au cœur de la discorde persistante au Soudan, offrant un plan pour la reconstruction démocratique dans toutes les régions en conflit.

Notre initiative a conduit à un pas significatif vers la stabilité ; pourtant, le 25 octobre 2021, l’armée a organisé un coup d’État, dissolvant un gouvernement civil prometteur. Les conséquences ont vu le renouvellement du mandat d’un Premier ministre civil, réduit à un peu plus qu’une figure de proue sous l’œil attentif de la junte militaire. Cependant, la junte, sous Al-Burhan, a reconnu l’objectivité de l’accord de paix de Juba. Cet accord, plutôt que de mettre l’accent sur un accord de partage du pouvoir, a établi un cadre solide pour la reconstruction démocratique du pays après le conflit.

Avant le début de la guerre, les tentatives de restauration d’un régime civil ont échoué. Les alliés occidentaux semblaient favoriser certains partis à tendance occidentale dans la coalition civile plus que d’autres, favorisant la division plutôt que la cohésion entre les partis. Cette iniquité était due à un processus de paix dirigé par des médiateurs inexpérimentés et peu familiers avec les subtilités politiques soudanaises.

Bien qu’il ait été écarté de la médiation directe, la persistance du Soudan du Sud à résoudre le conflit soudanais s’est manifestée dans l’Accord de paix de Juba, mettant en valeur la position stratégique et le potentiel que nous possédons pour aider à résoudre le problème fondamental du Soudan.

L’histoire du Soudan est donc celle de la lutte et de l’agitation, mais aussi celle de l’espoir. Un nouveau chapitre nous attend, et il nécessite de reconnaître et de traiter les problèmes fondamentaux qui ont conduit à son état actuel. Nous croyons en la capacité du Soudan du Sud à jouer un rôle unique dans la réalisation de cet objectif, guidés par notre histoire commune, notre profonde compréhension contextuelle et le respect mutuel de toutes les parties concernées.

J’ai raconté l’histoire du Soudan vu du regard de quelqu’un au cœur de ses engagements politiques et diplomatiques. Ce récit, je crois, est un guide sur la voie vers une résolution pacifique pour enfin régler le problème fondamental du Soudan une fois pour toutes.