La répression contre les médias au Burkina Faso s’intensifie

De plus en plus de médias étrangers sont bâillonnés par les informations sur les massacres accusant les soldats d'avoir tué au moins 223 personnes lors d'attaques de vengeance en février. (Getty Images)

l'urkina Faso a suscité l'inquiétude en suspendant ces derniers jours un certain nombre d'organismes de presse internationaux pour avoir diffusé des accusations de massacre de civils par l'armée.

Parmi les personnes citées figurent le journal français Le Mondepublication britannique Gardienla chaîne allemande Deutsche Welle et la chaîne française TV5 Monde.

Ils ont été suspendus pour avoir publié une déclaration de Human Rights Watch (HRW) accusant les soldats d'avoir tué au moins 223 personnes lors d'attaques de vengeance contre deux villages le 25 février.

Les autres médias d'information cités par le régulateur des communications CSC dans une ordonnance du 27 avril étaient le journal régional français Ouest-Francele site africain APAnews et l'Agence Ecofin basée en Suisse.

Jeudi déjà, la CSC avait annoncé avoir ordonné aux fournisseurs d'accès Internet de suspendre pour deux semaines l'accès à la BBC, à VOA et à HRW depuis le territoire burkinabé.

Lundi, la Grande-Bretagne et les États-Unis ont publié un communiqué se disant « gravement préoccupés » par les informations faisant état de ces meurtres et des suspensions des médias qui ont suivi.

Faisant référence au rapport de HRW, Londres et Washington ont conjointement exhorté Ouagadougou à « enquêter de manière approfondie sur ces massacres et à demander des comptes aux responsables ».

Les alliés occidentaux ont ajouté qu’ils « s’opposent fermement aux suspensions des médias » et ont souligné que « les médias libres et indépendants doivent être autorisés à mener des enquêtes et à produire des reportages de bonne foi sans crainte de représailles ».

L'UE a exprimé sa « ferme condamnation » du massacre signalé et a appelé les autorités à lancer une enquête « indépendante et impartiale ».

Concernant les suspensions des médias, l’UE a déclaré : « La liberté d’expression et le droit à l’information sont des éléments essentiels de l’État de droit. »

Nadja Scholz, directrice générale de la programmation de Deutsche Welle, a appelé les autorités burkinabè à « débloquer le site Internet le plus rapidement possible ».

Le blocage de la couverture médiatique « signifie que les gens là-bas sont privés du droit important à une information indépendante », a déclaré Scholz.

Les dirigeants militaires du Burkina Faso ont qualifié de « sans fondement » le rapport de HRW sur le massacre, qui révèle que 56 enfants figuraient parmi les morts.

« Les tueries de Nodin et Soro ont donné lieu à l'ouverture d'une enquête judiciaire », a déclaré samedi soir le ministre de la Communication, Rimtalba Jean Emmanuel Ouedraogo, dans un communiqué.

Il s'est dit surpris que « alors que cette enquête est en cours pour établir les faits et identifier les auteurs, HRW a pu, sans limite, identifier 'l'imagination coupable' et prononcer son verdict ».

HRW a décrit ce massacre comme « l’un des pires abus commis par l’armée au Burkina Faso depuis 2015 ».

« Ces massacres (…) semblent faire partie d'une vaste campagne militaire contre des civils accusés de collaborer avec des groupes armés islamistes et pourraient constituer des crimes contre l'humanité », a déclaré jeudi dernier le groupe basé à New York.

Reporters sans frontières a condamné ce qu'elle qualifie de « décisions graves et abusives » du conseil d'administration.

Dans un courrier électronique, le défenseur de la liberté de la presse indique que cela « rappelle aux autorités que la publication d'informations générales sur la situation sécuritaire du pays ne doit pas être un prétexte aux pires attaques enregistrées contre les médias ces derniers mois ».

Selon le communiqué burkinabè, « la campagne médiatique orchestrée autour de ces accusations montre pleinement l’intention inavouée… de discréditer nos forces combattantes ».

« Toutes les allégations de violations et d'abus des droits de l'homme signalées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme font systématiquement l'objet d'enquêtes » suivies par le gouvernement et le haut-commissaire de l'ONU aux droits de l'homme.

Les dernières suspensions contre les médias font suite à une série de mesures similaires, à la fois temporaires et indéfinies, prises depuis l'arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré en septembre 2022.

Sous Traoré, la junte a éloigné le Burkina Faso de la France, qui a dirigé le pays jusqu’en 1960, et a déjà pris pour cible un certain nombre de médias français.

Ce pays d’Afrique de l’Ouest a été frappé par l’insurrection djihadiste qui a déferlé depuis le Mali voisin en 2015.

Des milliers de civils, de soldats et de policiers ont été tués, deux millions de personnes ont fui leurs foyers et la colère au sein de l'armée face au bilan croissant a déclenché deux coups d'État en 2022. — AFP