Bien que l’action en justice contre TotalEnergies ait été rejetée pour des raisons techniques, elle a créé des précédents audacieux.
Le 28 février, un tribunal français déclaré un recours contre un projet pétrolier et gazier controversé en Afrique de l’Est, détenu en grande partie par TotalEnergies, est irrecevable. Siégeant en référé, le Tribunal judiciaire de Paris n’a pas apprécié les détails des demandes introduites par plusieurs ONG mais les a rejetées sur la base de diverses technicités.
Six groupes de la société civile française et africaine avaient demandé au tribunal d’ordonner la suspension du développement du champ pétrolier de Tilenga et de l’East African Crude Oil Pipeline (EACOP), arguant que TotalEnergies n’avait pas respecté la « loi sur le devoir de vigilance » de la France. . Cette nouvelle législation adoptée en 2017 oblige les grandes entreprises françaises à élaborer des mesures claires pour prévenir les violations des droits de l’homme et les atteintes à l’environnement, que ce soit à travers les activités de l’entreprise, de ses filiales, sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels elle entretient une relation commerciale établie. . Les plaignants ont déclaré que la feuille de route de vigilance de TotalEnergies était insuffisante et ont averti que les énormes projets pétroliers entraîneront des violations généralisées des droits de l’homme et des dommages irréversibles à l’environnement.
Le tribunal français a rejeté l’affaire en appel sur deux chefs d’accusation principaux. Premièrement, le juge du tribunal a déclaré que les réclamations soulevées auparavant étaient substantiellement différentes de celles initialement présentées en 2019. Depuis lors, TotalEnergies a publié trois plans de vigilance ultérieurs. Le tribunal a déclaré que les organisations de la société civile auraient dû émettre une nouvelle mise en demeure concernant la feuille de route de vigilance 2021 de l’entreprise, plutôt que de mettre à jour l’ancien appel.
Deuxièmement, le tribunal a déclaré qu’il n’était pas de son pouvoir – siégeant en référé concernant des demandes urgentes – de procéder au type d’analyse approfondie de l’affaire qui serait nécessaire pour évaluer son bien-fondé. Le tribunal n’a donc ni validé les recours des demandeurs ni donné raison à la défense de TotalEnergies.
Doublures d’argent
Les plaignants ont exprimé profondément déception lors de la décision, en particulier après une bataille judiciaire aussi longue. Ils avaient espéré que l’affaire judiciaire en France créerait un précédent révolutionnaire et pensaient qu’elle avait plus de chances de succès que diverses affaires judiciaires déposées en Afrique de l’Est. Ils soutiennent que le développement de 400 puits de pétrole de Tilenga et la construction de l’EACOP de 1 443 km de long affecteront négativement 100 000 personnes et causeront des ravages environnementaux.
Bien que ces groupes de la société civile n’aient pas obtenu le verdict qu’ils espéraient, tout n’est pas perdu. Pour commencer, les plaignants envisagent de faire appel du verdict. Même s’ils ne le font pas, cependant, il est à noter que le tribunal français a indiqué que les demandes des demandeurs pouvaient, en principe, être poursuivies devant un juge du fond compétent pour apprécier les demandes au fond. Contrairement à l’argument de TotalEnergies selon lequel les plaignants n’avaient pas la qualité juridique pour porter l’affaire en premier lieu, cela laisse la porte ouverte aux plaignants pour intenter des actions similaires à l’avenir.
Cela doit être considéré comme une étape importante en soi, démontrant le champ d’application potentiel de la loi française sur la vigilance. Bien que rejetée pour des raisons techniques, l’affaire EACOP a mis en évidence les responsabilités juridiques croissantes des entreprises pour répondre aux droits de l’homme et aux préoccupations environnementales dans leurs opérations – et pas seulement comme une question de droit mou mais comme une obligation juridique contraignante. Et ce, non seulement par rapport aux activités directes de l’entreprise mais aussi à celles de ses filiales étrangères.
Autre aspect notable de l’affaire, la décision des plaignants d’exiger que Total prenne en compte l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre projetées associées aux projets Tilenga et EACOP. C’est-à-dire que les calculs doivent inclure non seulement les émissions des champs d’application 1 et 2 – c’est-à-dire celles détenues ou contrôlées directement par l’entreprise – mais aussi portée 3 émissions. Cette dernière catégorie englobe le large éventail d’émissions en amont et en aval de la chaîne de valeur, telles que celles liées au transport maritime du pétrole et à la combustion éventuelle du pétrole extrait. La prise en compte de la production totale d’émissions d’un projet est un correctif essentiel à la manière beaucoup plus limitée dont les émissions ont été additionnées historiquement et une protection importante contre les entreprises bien documenté stratégies d’écoblanchiment.
Juste le commencement
TotalEnergies a peut-être poussé un soupir de soulagement face au récent verdict français. Mais, alors qu’il célèbre l’année dernière des bénéfices nets records de 20,5 milliards de dollars, la major pétrolière peut également avoir des raisons de s’inquiéter pour l’avenir. Les appels à la responsabilité sont susceptibles de croître à mesure que les effets du changement climatique se font de plus en plus sentir, en particulier parmi les communautés locales et autochtones qui subissent le poids des impacts environnementaux et des violations des droits de l’homme tout en ne percevant que peu de profits.
Comme l’a montré l’affaire contre Tilenga et l’EACOP, cette résistance peut provenir de plus en plus de solidarités mondiales forgées entre les communautés locales, les groupes nationaux de la société civile et les ONG internationales. Malgré la déception à Paris, la contestation judiciaire contre TotalEnergies pourrait inspirer des coalitions transfrontalières similaires à unir leurs forces et à soumettre des contestations judiciaires similaires fondées sur les lois sur le devoir de vigilance.
Ces solidarités sont particulièrement importantes alors que les représailles contre les défenseurs de l’environnement et des droits de l’homme se multiplient dans une grande partie du monde. Dans ce contexte de plus en plus hostile, la possibilité d’intenter des actions en justice contre les sociétés mères des entreprises dans des pays comme la France offre aux communautés et aux militants une autre voie pour intenter des poursuites qui auraient peu de chances de réussir devant des tribunaux partisans nationaux ou régionaux.
Avec Tilenga et EACOP qui devraient devenir opérationnels en 2025, le sort des communautés touchées en Afrique de l’Est est loin d’être terminé. Cependant, la porte étant toujours ouverte pour poursuivre des poursuites judiciaires en France – et avec plusieurs autres coalitions du monde entier dépôt affaires contre de grandes entreprises françaises en vertu de la même loi sur le devoir de vigilance ces dernières années – il en va de même pour les appels potentiellement révolutionnaires à la responsabilité mondiale des entreprises.