Retour vers le futur dans les Grands Lacs : Qui soutient le M23 ?

En mai 2013, le M23 s’est rendu à un assaut multinational dans l’est du Congo-Kinshasa. L’histoire se répète-t-elle ?

Les Forces armées nationales congolaises (FARDC) renforcent leurs positions autour de Goma, 21 mai 2013. L’histoire se répète une décennie plus tard, alors qu’une nouvelle force régionale tente de repousser la résurgence du M23. Le conflit dans la région des Grands Lacs a une longue histoire et est agité par de nombreux facteurs : la faiblesse de l’État en République démocratique du Congo (RDC), principalement exprimée par un contrôle territorial incomplet et la présence de nombreux groupes armés nationaux et étrangers ; les opérations militaires extraterritoriales du Rwanda ; relations bilatérales ambiguës entre l’Ouganda et le Rwanda ; intérêts économiques transfrontaliers dans un environnement largement informel et criminalisé ; et les loyautés ethniques au-delà des frontières nationales.

Depuis l’arrivée au pouvoir du Front patriotique rwandais (FPR) en 1994, les relations avec la RDC sont globalement conflictuelles. Le Rwanda a envahi à deux reprises son immense mais faible voisin, en 1996 et 1998, se cachant à chaque fois derrière un mandataire rebelle congolais. Après avoir officiellement retiré ses troupes en 2003, il a continué à opérer de manière clandestine en soutenant des groupes armés dans l’est de la RDC, d’abord le CNDP (Congrès national pour la défense du peuple) puis le M23. En 2013, une forte pression internationale a contraint Kigali à cesser son soutien au M23, vaincu par une Brigade de la Force internationale déployée aux côtés de l’armée congolaise (FARDC) et de la mission de maintien de la paix de l’ONU. La présence rwandaise s’est accompagnée de graves violations des droits de l’homme et de l’exploitation illégale des ressources naturelles congolaises. Les relations bilatérales se sont améliorées après que Félix Tshisekedi est devenu président de la RDC en 2019. Cependant, les Forces rwandaises de défense (RDF) sont restées présentes au Nord-Kivu, une accusation démentie par Kigali. Le M23 est redevenu actif avec le soutien du Rwanda en novembre 2021. Le Rwanda risquait de rejouer 2013 parce que Tshisekedi avait invité l’armée ougandaise sur le territoire congolais pour combattre les Forces démocratiques alliées (ADF), à l’origine un mouvement rebelle ougandais qui opérait du côté congolais. de la frontière pendant de nombreuses années. Le Rwanda n’a pas été consulté et s’est offusqué de la présence de troupes ougandaises dans ce qu’il considère comme son arrière-cour. En mars 2022, des éléments du M23 ont attaqué Positions de l’armée congolaise.

Rôle croissant des rebelles du M23 en RDC

La situation a continué de s’aggraver lorsque le 12 juin, le gouvernement congolais a formellement sommé le Rwanda de cesser son soutien au M23 et de s’abstenir de tout acte mettant en péril la paix et la stabilité régionales. Le 13 juin, le M23 a pris le contrôle de Bunagana, un important centre commercial à la frontière entre la RDC et l’Ouganda. Les accusations congolaises contre le Rwanda ont été confirmées par le Groupe d’experts de l’ONU sur la RDC. Dans un rapport public publié le 14 juin, il a constaté que le Rwanda et l’Ouganda avaient fourni des bases arrière et d’autres soutiens au M23. Le groupe a été beaucoup plus explicite dans une mise à jour confidentielle divulguée en juillet. Il avait rassemblé « des opérations militaires des RDF sur le territoire congolais et du soutien des RDF aux opérations du M23. Elle s’est également inquiétée de l’augmentation des discours de haine, de l’hostilité et des violence contre les populations rwandophones dans l’est de la RDC

Dans son discours à l’Assemblée générale des Nations unies en septembre, Tshisekedi a de nouveau accusé le Rwanda d’« agression militaire directe » et d’« occupation » du territoire de la RDC. L’expulsion de l’ambassadeur du Rwanda en RDC le 30 octobre 2022 a marqué un nouveau creux dans les relations bilatérales. Entre-temps, les dirigeants régionaux ont tenté de maîtriser une situation qui menaçait la paix et la sécurité régionales et gênait la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) dont la RDC et le Rwanda sont membres (paradoxalement, la RDC a rejoint l’organisation le jour après l’attaque du M23/Rwanda en mars). Deux initiatives de paix régionales ont été lancées, l’une dirigée par le président angolais João Lourenço au nom de l’Union africaine (UA), l’autre par l’ancien président kenyan Uhuru Kenyatta au nom de l’EAC. Le Kenya a depuis pris les devants, tant politiquement que militairement. Politiquement, Kenyatta a activement assumé son rôle de médiateur pour l’EAC en pratiquant une bonne dose de navette diplomatique. Sur le plan militaire, le déploiement d’une force régionale EAC (EACRF) dirigée par le Kenya a commencé en Novembre.

La réalité contrecarre les discours de paix

Ces développements politiques et militaires ont eu lieu alors que le Rwanda était de plus en plus poussé sur la défensive internationale. Le massacre de plus d’une centaine de civils par le M23 à Kishishe fin novembre s’est soldé par une condamnation mondiale du groupe rebelle et un soutien rwandais à celui-ci. Le Rwanda a continué de nier toute implication, même après qu’en décembre le Groupe d’experts de l’ONU a de nouveau documenté l’intervention directe des RDF sur le territoire de la RDC en détail. Le rapport n’a fait que confirmer ce qui était largement connu, et la condamnation de l’implication active du Rwanda a été presque unanime : les États-Unis, l’UE et la France se sont ouvertement prononcés contre Kigali. Le silence du Royaume-Uni était frappant, et probablement lié à la volonté de Londres de ne pas entraver la mise en œuvre de la politique controversée accord de migration avec le Rwanda.

Le Indice de transformation Bertelsmann 2022 (BTI) a souligné comment les partenaires internationaux devraient faire pression pour la stabilité dans la région dans son ensemble afin de stabiliser la RDC. « Les pratiques démocratiques en RDC ne peuvent être promues que si la démocratisation de la région des Grands Lacs progresse. Les partenaires internationaux devraient faire pression sur les pays voisins pour permettre des transitions électorales et interrompre l’éternelle tendance à la consolidation du pouvoir », ont écrit les experts du BTI. « L’incapacité à promouvoir une culture de transferts pacifiques du pouvoir dans la région rendra difficile l’endiguement de l’insécurité et des groupes armés qui prévalent en RDC ».

Cependant, les grands espoirs de Kenyatta que le cycle de pourparlers de paix du 6 décembre 2022 inaugurerait un nouveau départ pour la paix en RDC a été de courte durée. Les accords de cessez-le-feu successifs n’ont pas tenu et les offensives du M23 se poursuivent jusqu’à nos jours. Le déploiement de l’EACRF, les efforts diplomatiques des dirigeants régionaux et la pression internationale sur le Rwanda n’ont pas freiné les combats, avec des conséquences humanitaires dramatiques. L’annonce par l’Angola le 11 mars qu’il va déployer des troupes dans la région « pour soutenir l’armée et les forces régionales » risque de compliquer davantage la situation et d’internationaliser encore plus le conflit.

L’évolution pourrait néanmoins imiter l’expérience de 2012-2013, lorsque la combinaison de la pression internationale sur le Rwanda et le déploiement d’une force internationale ont réussi à mettre fin à la rébellion du M23. Il y a dix ans, cette combinaison de moyens politiques et militaires n’a cependant pas réussi à apporter une solution durable au problème, et il reste à voir si cette leçon sera retenue cette fois-ci. L’extrême faiblesse de l’État en RDC aggrave les violents problèmes qui caractérisent la région des grands lacs depuis trente ans. Après des décennies de décadence, reconstituer Humpty Dumpty sera une tâche colossale. Sans reconstruction de l’État, le développement de la RDC et l’amorce de la paix dans la région resteront illusoires.