Une mine au milieu du paradis

Le gouvernement Tebboune réprime brutalement toute protestation contre la construction d’une mine de plomb et de zinc dans une zone protégée RAMSAR.

La vallée de la Soummam. Crédit photo : Zil — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=4664886

La région entourant la rivière Soummam est réputée depuis longtemps pour son agriculture. Il abrite des oliviers centenaires et une flore et une faune diverses et riches avec plusieurs espèces protégées. C’est le cœur d’un important centre agroalimentaire, qui approvisionne le pays et produit plusieurs marques d’eau minérale ainsi qu’une bière locale, l’Albrau.

Mais un projet gouvernemental lancé en juillet est sur le point de bouleverser radicalement son écosystème et son paysage. Alger accélère l’exploitation d’une mine de plomb et de zinc envisagée – et redoutée – depuis près de deux décennies. Il sera développé par la coentreprise Western Mediterranean Zinc (WMZ), un partenariat entre une société minière publique, Sonaremqui détient une participation majoritaire, et la société minière australienne, Terramineconformément aux Règle 51/49 de la loi de financesqui impose à la partie algérienne de détenir la majorité des actions.

Le gouvernement insiste sur le fait que le projet est national et conforme à ses ambitions de devenir un acteur majeur de l’industrie minière. Entre-temps, il y a eu appels de scientifiques et de militants pour enquêter sur Terraminle manque d’expertise internationale du mineur australien et le manque d’informations sur l’accord avec les autorités algériennes sont des sujets de préoccupation.

De nombreux résidents locaux craignent que le développement de la mine ne détruise leurs moyens de subsistance, voire les chasse. Deux villages, Amizour et Tala Hamza, comptant respectivement 45 000 et 15 000 habitants, feront les frais de cette décision. Si le projet minier avance, des dizaines de familles seront contraintes de quitter leur foyer. Le patrimoine historique et immatériel de la région sera également menacé, car les martyrs de la révolution algérienne y seront enterrés. Il en va de même pour les proches de nombreux habitants.

«C’est une mine au milieu du paradis», déplore un natif de la région. « Les habitants ont non seulement peur des effets néfastes sur l’environnement et leur santé, mais ils ne veulent pas être relocalisés. Ils ont un attachement particulier à leur terre. C’est une belle région où ils mènent une vie tranquille et beaucoup d’entre eux vivent de l’agriculture de montagne. Leurs parents, grands-parents et arrière-grands-parents y sont enterrés. Si la zone est détruite, ils perdront tout. »

En juillet, les autorités algériennes ont publié un décret exécutif concernant déclassement d’une parcelle de terrain agricole qui servira de base logistique pour accéder à la mine. Sans surprise, le débat sur l’exploitation et ses conséquences environnementales a été étouffé par les autorités locales et surtout les décideurs d’Alger. Le projet a été présenté comme une priorité présidentielle, ce qui le rend plus opaque et difficile à opposer, surtout dans le contexte répressif actuel. Malheureusement, la population locale n’a pas été officiellement consultée avant l’annonce de juillet, alors même que sa santé et celle des générations futures est en jeu.

Ce que demandent les acteurs et experts de la société civile, c’est un débat transparent et ouvert avec les responsables gouvernementaux. Selon les militants, les habitants locaux, notamment à Aït Bouzid et Ibazghichen, deux villages voisins de la zone d’exploitation, sont largement opposés au projet et ont exprimé leurs inquiétudes à travers plusieurs pétitions adressées au gouvernement. Elles restent sans réponse et le gouvernement n’a pas contacté les associations locales ni les acteurs politiques.

Le 13 mai 2022, un regroupement d’associations d’Amizour et Tala Hamza organisé une randonnée sur le site de la mine sensibiliser aux dangers de l’extraction des minéraux et appeler à la préservation de la région. Elle a attiré plus de 200 personnes, bien qu’elle ait eu lieu pendant une vague de répression visant à faire taire le mouvement de protestation du Hirak et d’autres formes de dissidence. Selon plusieurs personnes présentes à l’événement, les participants ont été retenus à un barrage routier et leurs coordonnées ainsi que celles de leurs véhicules ont été enregistrées par les forces de sécurité. Une équipe de Radio M, connue pour son indépendance et fermée en décembre 2022 après l’incarcération de son rédacteur en chef, Ihsane El Kadi, a été arrêtée pendant une heure et interrogée. Dans une interview, un militant a affirmé que plusieurs personnes avaient été intimidées, voire menacées, non seulement par les forces de sécurité mais aussi par des représentants locaux de partis politiques proches du régime.

Kamel Aïssat, scientifique, professeur d’université et militant du Parti socialiste des travailleurs (PST), un parti d’opposition interdit en 2022, qui vit dans la région, a clairement exprimé son opposition au projet. En juillet, il a été arrêté alors qu’il s’apprêtait à quitter l’Algérie. Il a ensuite été convoqué et interrogé pour être placé quelques jours plus tard sous contrôle judiciaire par décision de justice, ce qui signifie que ses déplacements et ses rencontres seront étroitement surveillés et donc entravés. Il est accusé d’atteinte à l’unité nationale et de publication d’informations susceptibles de nuire à l’intérêt national. Ses poursuites redoublent la pression sur les militants locaux. Plusieurs personnes que j’ai contactées ont refusé de s’exprimer publiquement par crainte de représailles ou en raison de procédures judiciaires en cours en raison de leur implication dans le Hirak.

« Le pouvoir [powers-that-be] a semé un climat de terreur », m’a confié un habitant local.

« [The project] impactera toute la vallée de la Soummam. Tout le monde et toutes les communes voisines seront touchés, [all the way to] la mer Méditerranée », prévient Samir Larbi, militant du PST de la ville voisine d’El Kseur.

D’autres acteurs de la société civile partagent ses inquiétudes quant à la propagation des métaux lourds dans les eaux souterraines et dans l’air. « Cela aura un impact désastreux sur l’agriculture, d’autant plus que la région est connue pour ses terres fertiles. La nappe phréatique sera contaminée, ce qui à son tour contaminera toute la région de Béjaia », souligne un militant.

Les critiques affirment que les dommages environnementaux dépassent les avantages économiques et sociaux. Il existe déjà une grande méfiance à l’égard de la capacité des autorités à s’attaquer aux problèmes environnementaux. Un exemple récent est leur faible réponse en 2021 et cet été au incendies meurtriers dans la région de Bejaia. Un autre problème concerne la mauvaise gestion des déchets, ce qui suscite des craintes quant à la gestion des déchets toxiques de la mine.

Ce projet, affirment-ils, est en contradiction avec la législation minière adoptée en 2014, qui stipule que les mines situées dans les zones protégées ne doivent pas être développées. Le La vallée de la Soummam a été classée zone humide protégé par la convention internationale Ramsar, que l’Algérie a ratifiée en 1984. Ils soulignent par ailleurs qu’il n’existe pas d’étude d’impact publique approfondie. En outre, ils se méfient de l’évaluation de la faisabilité environnementale de l’extraction proposée par le gouvernement, qui, selon eux, aurait dû être réalisée par un organisme indépendant. Parmi les rares acteurs politiques à s’élever contre l’opacité qui entoure le projet, des membres du parti d’opposition Rassemblement de la Culture et de la Démocratie (RCD) à Tala Hamza ainsi que le bureau régional du parti ont exigé une véritable étude d’impact accessible au public.

« L’expansion de l’extraction des ressources souterraines à d’autres ressources naturelles que les hydrocarbures ne cache pas la crise économique qui s’installe dans le pays et ne doit jamais se faire en catimini et en interdisant les débats et les avis des experts en la matière », a déclaré le bureau du RCD.

Dans un entretien accordé en juillet à l’agence d’Etat Algérie Presse Service, la directrice générale des Mines au ministère de l’Energie et des Mines, Nadjiba Bourenane, affirmait que « toutes les études nécessaires à la réalisation de ce projet stratégique ont été réalisées, notamment la étude de faisabilité détaillée comprenant plusieurs volets techniques, soit l’exploration, l’exploitation, le traitement, la planification minière, l’impact environnemental, ainsi que l’étude technico-économique avec modélisation économique, en plus de l’élaboration d’une étude de marché pour pouvoir prouver la rentabilité de cet investissement.

Selon le gouvernement, la mine devrait durer environ 20 ans et employer directement 700 personnes, soit 4 000 au total. Cependant, dans une région où l’État est généralement absent, les opposants au projet estiment qu’il ne mènera pas au développement durable mais qu’il s’agit simplement d’un opportunité financière à court terme pour Terramin et leurs homologues algériens. Ils soulignent que les emplois qui seront créés sont des emplois non spécialisés et que l’extraction de la mine ne peut pas améliorer l’économie locale. L’histoire récente du pays conforte leur scepticisme. Au cours des dernières décennies, la population algérienne n’a généralement pas tiré profit de ses immenses ressources pétrolières et gazières. La politique économique de l’État, qui reposait sur leurs exportations, n’a pas conduit au développement des régions concernées, privilégiant uniquement le sud du pays, perpétuant une économie rentière.

Comme le soutient Larabi, militant du PST, il s’agit d’orientations gouvernementales anciennes qui se sont accélérées sous le président Tebboune. « La politique actuelle est basée sur l’extractivisme et l’utilisation effrénée des ressources », a-t-il déclaré.