Comment le langage de la « restitution » masque la violence impériale

Les colonialistes ne se sont pas contentés de « prendre » des artefacts africains qui devaient être restitués, mais ont détruit des connaissances et des formes de vie dans le processus.

L’art africain exposé au British Museum. Crédit : Paul Hudson.

La violence du passé est loin d’être terminée. Mais elle est déguisée de bien des manières, rendue invisible et normalisée. Ce qui a commencé avec les empires espagnol, portugais ou ottoman s’est poursuivi avec les empires britannique, français et russe, et maintenant les États-Unis. La violence politique impériale se poursuit aujourd’hui en Palestine, en Ukraine, au Soudan, au Yémen, en Iran, pour n’en citer que quelques-uns.

L’un des déguisements est la « restitution ».

Je suis un érudit de ce que je comprends comme art catastrophique – des œuvres d’art qui ont été réalisées dans des mondes que les empires ont détruits, et qui ont ensuite été emmenées dans les centres impériaux, ou métropoles. Quand on parle de retour ces œuvres, les anciens États impériaux parlent de « restitution ». Par restitution, on entend le retour d’« objets » dans leur foyer ou leur lieu d’origine. Elle se limite aux œuvres d’art individuelles et aux restes humains qui ont été brutalement déportés et exposés dans des musées ou soumis à des recherches en laboratoire. Il comprend aussi des animaux. Ceux-ci ont été chassés et capturés pour satisfaire l’intérêt de la science impériale, des musées et des zoos.

Mais le langage de la restitution ne tient pas compte des responsabilités historiques. Comme je l’explique dans un article récent sur art catastrophique, la restitution omet de constater que le prélèvement d’« objets » à l’Afrique s’est accompagné d’un meurtre ou d’une destruction des savoirs sur le continent. Cela a ainsi éliminé la possibilité d’une pratique et d’une circulation futures des connaissances.

La restitution ignore l’anéantissement des formes de vie – d’organisation sociale, politique, écologique et épistémologique – qui a été perpétré en Afrique par les empires.

J’ai travaillé sur la compréhension de la destruction coloniale britannique du Royaume du Bénin en 1897. La destruction était une réponse impériale à Oba (roi) Ovonramwen Nogbaisirefus de se soumettre au contrôle de la législation impériale. Le royaume a d’abord disparu dans un grand incendie, puis s’est transformé en une colonie britannique avec un «conseil indigène».

L’empire britannique avait déjà détruit le Royaume Ashanti en 1874 dans ce qui est aujourd’hui le Ghana, et l’empire allemand avait détruit Cameroun en Afrique de l’Ouest en 1884. Au Conférence de Berlin de 1884-1885, des représentants d’empires prédateurs se sont rencontrés et divisé le continent de l’Afrique entre eux dans des domaines sur lesquels ils auraient des droits exclusifs. La destruction française du Royaume du Dahomey en 1892-1894 suivi.

La violence politique de ces empires était motivée par ce qu’ils appelaient une « mission civilisatrice ». Cela signifiait la conquête de la terre. Et cela signifiait l’anéantissement des formes de vie. Elle a détruit différents savoirs et a été suivie par l’extraction d’œuvres d’art et de restes humains. Les ethnologues et ethnographes coloniaux avaient le pouvoir de traiter les savoirs détruits comme des « objets » ou des « artefacts ».

Le meurtre des savoirs

En tant qu’impérialistes, ils pouvaient créer des théories pour prouver que les connaissances pillées n’étaient rien de plus que des objets. Ils ont dépouillé ces systèmes de connaissances de leur capacité à transmettre des connaissances. Au Royaume du Bénin, l’art n’a jamais été considéré comme un art seul, mais comme un système de connaissances qui a façonné la vie. Penseur critique, poète et premier président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, a écrit de l’art africain comme « la vie sociale, la bonté, la beauté, le bonheur et la ‘connaissance du monde’ ».

En niant que les œuvres d’art véhiculaient des connaissances qu’elles apportaient avec elles, l’ethnologue ou l’anthropologue colonial pouvait faire valoir des connaissances scientifiques sur ces « objets ». Mais le système colonialiste de classification, de catégorisation et de hiérarchie niait le fait que les œuvres d’art transportaient les connaissances qu’elles apportaient avec elles. Ce processus a détruit la capacité et le droit d’une œuvre d’art de parler de formes de vie.

Les « objets » étaient alors exposés et transformés en spectacles pour divertir les foules, ou « belles endormies », comme le philosophe Frantz Fanon mettre dans Les Misérables de la Terre. Les empires ont utilisé le spectacle pour instituer la citoyenneté impériale et justifier la violence et la destruction dans les colonies.

A ce jour, le Persienne à Paris, le Musée anglais à Londres et le Forum Humboldt à Berlin continuent de revendiquer et d’exposer des « objets » du Bénin, du Dahomey et du Cameroun. L’affichage non perturbé empêche de penser les « objets » comme le meurtre colonial des savoirs.

Un appel à la responsabilité historique

Les États et les musées ne se voient sous aucune obligation historique, politique ou éthique, même d’enquêter sur leurs histoires coloniales de savoir meurtrier. Plutôt l’inverse. Le langage de la restitution et de la provenance est un « nouveau » spectacle, une manière de se souvenir du colonialisme et d’écrire l’histoire coloniale. La restitution est déclarée et contrôlée dans les métropoles et régie par les musées, les chercheurs de provenance, les archives et les conservateurs.

En fait, la rhétorique de la restitution célèbre le colonialisme et les relations de pouvoir impériales. Dans un parole à l’Université de Ouagadougou au Burkina Faso le 28 novembre 2017, Président Emmanuel Macron de France a déclaré que « le patrimoine africain doit être mis en valeur à Paris mais aussi à Dakar, Lagos et Cotonou ; ce sera une de mes priorités. D’ici cinq ans, je veux que les conditions existent pour des retours temporaires ou permanents du patrimoine africain en Afrique.

Une approche similaire a été adoptée dans un rapport présidentiel sur la restitution commandée par Macron. La rhétorique de la restitution s’est également déroulée en Allemagne et en Grande-Bretagne, démontrant que la la volonté de savoir est la volonté de dominer.La conversation


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