Le nouveau fonds est un pas vers la justice climatique. Mais son hôte et sa taille laissent de nombreuses questions sans réponse.
Dans mon pays, le Kenya, le changement climatique constitue un combat quotidien malgré notre contribution minime aux émissions mondiales de gaz à effet de serre. Parmi les défis majeurs figurent les vagues de chaleur, les précipitations irrégulières et les inondations fréquentes, qui ont un impact sur les vies humaines et sur l’économie.
Chaque année, le changement climatique réduit de près 5% de notre PIB, affectant particulièrement l’agriculture et les ressources en eau, qui représentent un tiers de notre économie. D’ici 2050, cette perte devrait tripler. Les petites exploitations agricoles, tributaires de la pluie, qui prédominent dans plus de 80 % des terres arides et semi-arides, sont confrontées à une dévastation, exacerbée par la médiocrité des infrastructures. Ce récit s’étend au-delà du Kenya, mettant en évidence un fil conducteur commun à l’Afrique et au monde en développement.
La solution réside dans l’aide des pays riches, à fortes émissions, aux pays moins riches. Les pays en développement doivent appliquer des réglementations strictes, investir dans les énergies renouvelables et s’engager activement dans les accords mondiaux sur le climat pour assumer leurs responsabilités. Négliger ce devoir non seulement nuit à l’environnement, mais entrave également les efforts mondiaux de développement durable, en particulier en Afrique.
Il est prometteur qu’une nouvelle aube pour la justice climatique ait finalement surgi lors de la COP28 à Dubaï à la fin de l’année dernière. Le premier jour du sommet sur le climat a vu l’annonce de la décision historique d’approuver un fonds pour les pertes et dommages par lequel les États riches indemniseront les États pauvres pour les dommages irréversibles du changement climatique. En termes succincts, le président de la conférence, le sultan Al Jaber, a livré l’histoire. Engagements initiaux totalisés 700 millions de dollars.
Ce fonds constitue une avancée cruciale pour le Kenya, un pays aux prises avec les ravages du changement climatique. Toutefois, je reste prudemment optimiste quant à la mise en place d’un nouveau mécanisme financier. les détails commencent à être réglés.
Premièrement, le choix de la Banque mondiale comme fonds intérimaire suscite des inquiétudes quant à l’exclusion potentielle de pays comme le mien. La classification du Kenya par la Banque mondiale parmi les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure pourrait rendre plus difficile pour notre gouvernement l’accès à un fonds destiné à aider les pays les plus vulnérables. Cette classification ne tient pas compte des vulnérabilités uniques et des impacts spécifiques au secteur, en particulier sur l’agriculture et les ressources en eau, auxquels les communautés kenyanes sont confrontées.
Une approche nuancée est nécessaire pour garantir que les fonds soient alloués en fonction de la vulnérabilité et de l’impact climatiques plutôt que uniquement en fonction de classifications de revenus, qui ne reflètent peut-être pas pleinement les réalités de l’adversité climatique. Les rapports sur le terrain et les modèles complexes permettant de prédire quels pays seront les plus vulnérables aux impacts du changement climatique dans les années à venir seront importants.
Deuxièmement, nos expériences historiques avec la Banque mondiale ont souvent conduit à une plus grande dépendance plutôt qu’à un renforcement de la résilience. Les conditions attachées aux prêts, telles que les mesures d’austérité, ont sapé les objectifs mêmes de la finance en restreignant l’espace budgétaire. La plupart des financements climatiques prennent également la forme de prêts. Il est essentiel que les décideurs politiques qui déterminent les pertes et dommages tirent les leçons de ce passé et veillent à ce qu’une approche différente soit adoptée aujourd’hui. Les réparations via le fonds doivent permettre aux pays de renforcer leur capacité d’adaptation sans le fardeau d’une dette supplémentaire. Cela signifie donner la priorité aux subventions plutôt qu’aux prêts et veiller à ce que les fonds ne soient pas simplement la continuation de l’aide financière génératrice de dettes qui pose depuis longtemps un défi au monde en développement.
Enfin, il est alarmant de constater que le montant engagé jusqu’à présent par les pays développés dans le Fonds pour les pertes et dommages ne représente qu’une goutte d’eau dans l’océan par rapport aux besoins réels de financement climatique. Une étude de l’Université du Delaware a estimé le pourcentage non pondéré du PIB mondial perdu en raison des impacts climatiques tels que les sécheresses, les inondations et les incendies de forêt à environ 1,8 %, soit 1 500 milliards de dollars. Il a calculé que les pays à revenu faible et intermédiaire subissent plus de 2 100 milliards de dollars de pertes en capital dues au changement climatique. En tant que pays en développement, nous avons besoin d’environ 400 milliards de dollars par an pour faire face à ces pertes, ce qui dépasse de loin les 700 millions de dollars promis initialement ou les engagements plus larges de la COP28 qui devraient fournir environ 100 milliards de dollars par an d’ici 2030.
Il est essentiel de garder à l’esprit que le Fonds pour les pertes et dommages n’est qu’une partie du défi plus large du financement climatique. Le succès du fonds dépendra de l’engagement continu des pays riches et de la distribution efficace des ressources aux pays qui en ont le plus besoin. Il s’agit d’un pas important, mais modeste, vers la résolution du déséquilibre dans lequel les pays les moins responsables du changement climatique sont confrontés à ses conséquences les plus graves.
En outre, même si l’aide étrangère est nécessaire, elle ne peut pas constituer la seule solution aux défis climatiques de l’Afrique. Des alternatives durables émergent à travers le continent. Voir l’adoption par la Tanzanie de systèmes d’énergie solaire et l’investissement important du Kenya dans les sources d’énergie renouvelables. Ces efforts sont cruciaux pour renforcer la résilience face aux menaces climatiques. Toutefois, le soutien de la communauté internationale, comme en témoigne le Fonds pour les pertes et dommages, est essentiel pour amplifier ces efforts et garantir leur pérennité à long terme.
La création d’un Fonds pour les pertes et dommages lors de la COP28 ne se limite pas à une simple assistance financière ; c’est une reconnaissance de l’impact disproportionné du changement climatique sur les nations vulnérables. Il s’agit d’un engagement en faveur de la justice climatique, garantissant que ceux qui ont le moins contribué à la crise ne soient pas laissés seuls face à ses conséquences. Ce fonds représente non seulement une aide financière mais un symbole de solidarité mondiale dans la lutte contre le changement climatique. Il s’agit d’un pas en avant, mais l’urgence et l’ampleur de la crise climatique exigent que cet élan soit non seulement maintenu, mais accéléré.