25 ans après que le dialogue inter-rwandais a donné naissance à la « démocratie de consensus », il est désormais temps de revisiter et de renouveler le système.
À l’occasion de la Journée internationale de la démocratie, les nations se rassemblent pour célébrer les valeurs fondamentales qui définissent les véritables sociétés démocratiques : l’État de droit, la participation active des citoyens, des institutions indépendantes et un profond respect des droits de l’homme. Pourtant, au Rwanda, sous la direction du président Paul Kagame, ces principes restent largement théoriques. Malgré la rhétorique de Kagame sur une « démocratie unique » adaptée au contexte rwandais, un discours souvent repris sur les plateformes internationales comme lors du Sommet 2024 du Forum sur la coopération sino-africaine qui vient de s’achever, au cours duquel il a déclaré que « chaque pays doit tracer sa propre voie en fonction de son contexte, de son histoire et de ses aspirations uniques ». La réalité sur le terrain contraste fortement avec ces idéaux. Le Rwanda offre un exemple troublant où l’apparence de progrès et de gouvernance démocratique masque un régime profondément répressif.
Le gouvernement rwandais affirme fonctionner dans le cadre d'une « démocratie de consensus », un système convenu lors du dialogue interrwandais qui a eu lieu en 1999 et qui est censé être adapté au contexte post-génocide unique du pays. L'idée derrière ce modèle est de promouvoir l'unité et d'empêcher les politiques de division en prenant des décisions par consensus plutôt que par la règle de la majorité. Cependant, la manière dont ce modèle est mis en pratique viole la Constitution rwandaise, qui consacre les principes démocratiques tels que le pluralisme, des élections libres et équitables et le droit à la participation politique.
En réalité, la prétendue démocratie de consensus au Rwanda est un mécanisme destiné à réprimer la dissidence et à maintenir le pouvoir du parti au pouvoir. Elle réduit effectivement au silence les voix de l'opposition, laissant peu de place au véritable discours politique ou à la concurrence. Les dispositions de la Constitution relatives à la démocratie, aux droits de l'homme et aux libertés civiles sont ainsi sapées, réduisant la Constitution à un simple document sans grande influence sur le paysage politique réel.
La véritable démocratie repose sur la participation active des citoyens. Or, au Rwanda, cette participation fait cruellement défaut et le pays se situe bien en dessous de la moyenne de l'Afrique subsaharienne en matière de « liberté d'expression et de responsabilité ». L'opposition politique au Rwanda est non seulement découragée, mais elle est souvent confrontée à de graves intimidations, harcèlements et même à des peines d'emprisonnement.
Diane Rwigara, militante et femme d’affaires, en est un exemple frappant. Après avoir annoncé sa candidature à l’élection présidentielle de 2017, elle a été disqualifiée, soumise à une campagne de dénigrement et même emprisonnée. Elle a été acquittée une fois les élections terminées.
Un autre exemple marquant de Christopher Kayumba. En septembre 2021, peu après avoir fondé un journal en ligne appelé « The Chronicles » et créé une organisation politique, Kayumba a été accusé de viol. Il a été détenu pendant 17 mois, au cours d’une longue et éprouvante bataille juridique. Il a été acquitté de cette accusation. Mais l’expérience semble avoir eu un effet dissuasif : Kayumba ne s’est pas exprimé sur la politique depuis sa libération.
Ces cas illustrent la manière dont le gouvernement rwandais réprime systématiquement la dissidence, en utilisant le système juridique comme un outil pour étouffer l’opposition politique et décourager les autres de remettre en cause le statu quo.
Les rares partis d'opposition qui existent sont soit cooptés par le gouvernement, soit soumis à de sévères contraintes, ce qui rend la participation citoyenne quasi impossible. Ce climat étouffant est non seulement contraire à l'esprit de la démocratie, mais aussi à la lettre des garanties constitutionnelles du Rwanda.
Au Rwanda, le pouvoir judiciaire, le Parlement et l'exécutif sont étroitement liés, fonctionnant davantage comme des outils de l'élite dirigeante que comme des institutions indépendantes chargées de faire respecter l'État de droit. Plutôt que de servir de contre-pouvoirs, ils servent à renforcer l'emprise autoritaire du président Paul Kagame sur le pays.
Ceux qui osent remettre en cause ou sont perçus comme remettant en cause le discours du gouvernement sont régulièrement détenus sous des accusations vagues ou inventées. Nombre d’entre eux ne bénéficient jamais d’un procès équitable et certains sont confrontés à de graves conséquences, notamment la disparition, voire la mort, pendant leur détention par les autorités. Prenons le cas de Boniface Twagirimana, un haut responsable du parti d’opposition FDU-Inkingi, qui a mystérieusement disparu d’une prison de haute sécurité en 2018, les autorités affirmant qu’il s’était évadé. À ce jour, on ignore où il se trouve et beaucoup pensent qu’il a été tué pendant sa détention. Son cas est emblématique d’un schéma plus large de détention arbitraire et de non-respect des droits humains fondamentaux.
La mort de Kizito Mihigo, un chanteur de gospel populaire, illustre une fois de plus le contrôle exercé par le régime sur le système judiciaire. Mihigo a été arrêté en 2020 pour avoir prétendument tenté de fuir le pays et a été retrouvé mort dans sa cellule de prison peu de temps après. Les autorités ont affirmé qu'il s'agissait d'un suicide, mais l'absence d'enquête approfondie et indépendante ne fait que souligner la culture de l'impunité qui prévaut au Rwanda. Comme le souligne le rapport de Human Rights Watch « Rejoignez-nous ou mourez », les forces de sécurité du gouvernement rwandais ont systématiquement recours aux exécutions extrajudiciaires et aux disparitions pour éliminer toute menace perçue contre le régime de Kagame.
Dans certains cas, le Rwanda va jusqu’à violer ses obligations internationales. Le cas de Victoire Ingabire, figure de proue de l’opposition, est un parfait exemple de la façon dont le Rwanda a violé le système juridique international. En 2010, Victoire Ingabire a été arrêtée et condamnée à 15 ans de prison pour des motifs politiques, de terrorisme et d’atteinte à la sécurité nationale. Le gouvernement rwandais a ignoré une décision de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples qui l’a acquittée de toutes les charges.
Outre le pouvoir judiciaire, le parlement rwandais manque également d'indépendance. Il fonctionne davantage comme une institution d'approbation automatique des politiques de Kagame que comme un organe représentant la volonté du peuple. Les débats critiques sur des questions nationales importantes, telles que les violations des droits de l'homme ou le traitement des prisonniers politiques, sont notablement absents des sessions parlementaires. Les parlementaires, dont beaucoup doivent leur position à leur loyauté envers le parti au pouvoir, s'abstiennent de contester l'exécutif, renforçant ainsi le régime autoritaire de Kagame.
Dans ce système, l'exécutif exerce un pouvoir illimité et Kagame contrôle presque tous les aspects de la gouvernance rwandaise. Cette consolidation de l'autorité ne laisse aucune place au fonctionnement indépendant des autres pouvoirs du gouvernement. Les lois sont appliquées de manière sélective pour cibler les détracteurs de Kagame tandis que ses fidèles restent à l'abri des poursuites, même lorsqu'ils sont impliqués dans de graves abus.
Le Rwanda est l’un des pays où le taux de représentation des femmes au parlement est le plus élevé, un chiffre souvent présenté comme un signe de progrès. Mais ce résultat cache un problème plus profond : le parlement rwandais est loin d’être indépendant, la grande majorité de ses membres étant membres du parti au pouvoir. Il fonctionne davantage comme un organe d’approbation automatique de l’exécutif que comme un moyen de contrôle de son pouvoir.
Malgré le pourcentage élevé de femmes au parlement, leur présence ne contribue guère à promouvoir la démocratie ou les droits de l'homme. Ces parlementaires dénoncent rarement, voire jamais, les violations des droits de l'homme ou ne remettent pas en cause les actions du gouvernement. Le taux élevé de représentation féminine est donc une façade utilisée pour renforcer l'image internationale du Rwanda tout en masquant la réalité de sa gouvernance non démocratique.
Aucun des cas mentionnés ci-dessus n'a jamais été débattu au Parlement, ce qui met en évidence le manque d'indépendance du corps législatif rwandais. Cette absence de débat critique sur les questions urgentes liées aux droits de l'homme est une indication claire que les parlementaires rwandais ne sont pas libres d'agir de manière indépendante mais sont plutôt limités par les intérêts du parti au pouvoir.
Les élections de 2024 au Rwanda ont une fois de plus mis en évidence le profond déficit démocratique du pays. La victoire écrasante, presque stalinienne, revendiquée par Paul Kagame reflète les schémas des élections passées, où les résultats étaient prédéterminés et les voix de l'opposition réduites au silence. Ce résultat ne reflète pas un véritable processus démocratique, mais la continuation d'un régime qui utilise les élections comme une façade pour maintenir le contrôle, étouffant toute concurrence politique ou toute contestation réelle.
Les leaders de l’opposition comme Victoire Ingabire, Bernard Ntaganda et Diane Rwigara se sont vu interdire de participer au scrutin. Ces trois hommes avaient auparavant été victimes de harcèlement, d’emprisonnement et de recours judiciaires destinés à les empêcher de se lancer dans une quelconque opposition politique sérieuse.
L'exclusion des véritables candidats de l'opposition garantit que les résultats des élections seront acquis d'avance, ce qui renforcera encore davantage la domination du FPR. Un tel processus ne peut être considéré comme une élection libre ou équitable, mais plutôt comme la continuation du régime dictatorial du Rwanda sous couvert de démocratie.
Les rapports d'organisations internationales comme Freedom House et Human Rights Watch dressent un sombre tableau de la situation démocratique du Rwanda. Freedom House considère systématiquement le Rwanda comme un pays « non libre », évoquant de graves restrictions aux droits politiques et aux libertés civiles. Human Rights Watch a recensé de nombreuses violations des droits humains, notamment la répression des médias, la détention arbitraire et la persécution des opposants politiques.
Ces rapports soulignent l’urgence pour la communauté internationale de réévaluer son engagement envers le Rwanda. La situation actuelle dans le pays n’est pas tenable et un soutien international continu sans obligation de rendre des comptes ne fait qu’encourager le gouvernement rwandais à persister dans ses pratiques répressives.
Une véritable démocratie, caractérisée par des élections libres et équitables, une participation politique ouverte et des médias indépendants, menace de plusieurs façons l'emprise de Paul Kagame sur le pouvoir. La démocratie implique la concurrence et la dissidence, deux éléments que le gouvernement de Kagame a historiquement réprimés. Elle incarne également la séparation des pouvoirs et pourrait révéler les violations des droits de l'homme et d'autres défauts du gouvernement de Kagame.
Alors que le monde commémore la Journée internationale de la démocratie, il est essentiel que la communauté internationale regarde au-delà de l’image soigneusement entretenue du Rwanda et affronte les dures réalités de sa gouvernance. La façade démocratique du pays ne doit pas être confondue avec de véritables pratiques démocratiques. Les dirigeants rwandais doivent rendre des comptes et la communauté internationale doit exiger des réformes significatives qui donnent la priorité à l’État de droit, aux droits de l’homme et à une véritable participation citoyenne.
Le président rwandais Paul Kagame a par le passé subi des pressions de la part des bailleurs de fonds occidentaux, notamment des États-Unis et du Royaume-Uni, pour faire avancer les réformes démocratiques. Lors de l’Examen périodique universel du Rwanda de 2021, le Royaume-Uni a publié une déclaration publique exhortant le gouvernement rwandais à renforcer la gouvernance démocratique, notamment en favorisant la liberté de la presse et en garantissant des élections plus transparentes.
De même, lors de sa visite au Rwanda en 2022, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a publiquement fait part de ses inquiétudes concernant les violations des droits de l’homme et de la nécessité pour le Rwanda d’élargir les libertés politiques, de s’attaquer à des problèmes tels que la détention de détracteurs du gouvernement comme Paul Rusesabagina. Washington a souligné l’importance de protéger la liberté d’expression et de créer davantage d’espace politique pour les partis d’opposition. Bien que ces pressions reflètent un intérêt occidental plus large pour la promotion des droits de l’homme et des normes démocratiques au Rwanda, il reste encore beaucoup à faire.
Tout comme le Rwanda a adopté une forme de démocratie de consensus par le biais du dialogue inter-rwandais en 1999, il est temps aujourd’hui de revoir et de renouveler ce système et de remédier aux faiblesses qui ont été mises en évidence au cours des 25 dernières années. Il est en effet nécessaire d’organiser un nouveau dialogue inter-rwandais réunissant les responsables du gouvernement et de l’opposition politique ainsi que la société civile du Rwanda et de l’extérieur, afin de convenir d’un cadre politique qui aborde des questions telles que l’exclusion politique, le manque de participation des citoyens et le respect des droits de l’homme et de l’état de droit qui caractérisent la démocratie de consensus pratiquée au Rwanda depuis 25 ans.
En conclusion, l’absence de démocratie au Rwanda n’est pas seulement un problème national, mais un problème mondial qui exige une action immédiate. La communauté internationale doit soutenir le peuple rwandais dans sa lutte pour une véritable démocratie, une démocratie dans laquelle sa voix est entendue, ses droits respectés et ses dirigeants responsables. Ce n’est que par des efforts collectifs que le Rwanda pourra véritablement incarner les valeurs de la démocratie, non seulement aujourd’hui, mais pour l’avenir.