« Se moquer » : mettre fin à la conservation des forteresses en RDC et au-delà

La décision du tribunal sur les droits du peuple Batwa expulsé pourrait ouvrir la voie au changement de paradigme dont nous avons besoin.

En juillet 2024, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a rendu une décision historique en faveur des membres de la communauté Batwa expulsés du parc national de Kahuzi-Biega, en République démocratique du Congo (RDC). La décision de l’organe de défense des droits de l’homme de l’Union africaine reconnaît les droits du groupe autochtone sur ses terres et appelle le gouvernement congolais à restituer ces terres à leurs propriétaires légitimes, à les indemniser et à assurer leur pleine protection.

Reconnaissant des décennies de vol de terres, d’oppression et d’injustice auxquelles sont confrontés les peuples autochtones, cette décision pourrait radicalement transformer le visage de la conservation en RDC et au-delà.

La RDC compte 41 aires protégées (AP) – 9 parcs nationaux et 32 ​​réserves de divers types – couvrant 32 millions d’hectares, soit 14 % du territoire national. Le parc national de Kahuzi-Biega est géré par la Wildlife Conservation Society (WCS), une organisation environnementale internationale de premier plan qui gère également des zoos et des aquariums aux États-Unis.

En 2022, l’ONG Minority Rights Group (MRG) a révélé que des abus flagrants avaient eu lieu dans le parc lors d’une campagne militaire menée contre les Batwa par des écogardes et des soldats congolais de juillet 2019 à décembre 2021. Ils ont découvert un large éventail d’abus horribles : torture, meurtre, viol collectif, bombardement de villages, brûlures d’enfants vifs, décapitation et prélèvement de parties du corps comme trophées.

Ces résultats sont choquants mais ne sont malheureusement pas nouveaux. Depuis 2018, des ONG internationales et locales ont documenté des abus similaires commis par les forces de sécurité et les écogardes à Salonga, un autre parc national congolais géré par une organisation internationale de premier plan, en l’occurrence le Fonds mondial pour la nature (WWF).

En réponse aux révélations d’abus, les organisations environnementales internationales, les organismes donateurs qui financent les parcs et les autorités nationales de conservation ont réagi de différentes manières.

Aux États-Unis, des audiences du Congrès et des enquêtes officielles ont été organisées, le financement de certaines aires protégées gérées par le WWF a été gelé et une nouvelle législation a été élaborée, qui impose des exigences plus strictes en matière de financement des aires protégées. Ces exigences comprennent l’ajout de garanties sociales, la formation des forces de sécurité aux droits de l’homme et la mise en place de mécanismes de réclamation.

Le WCS a quant à lui annoncé un changement de paradigme et des investissements dans la formation et les garanties en matière de droits de l’homme. Le WWF a quant à lui dévoilé des plans visant à améliorer les garanties et la gestion, à la suite d’une enquête indépendante qui a révélé que l’organisation n’avait pas réussi à prévenir, enquêter et réagir aux abus et avait violé ses propres protocoles relatifs aux droits de l’homme.

Malheureusement, ces engagements publics visant à lutter contre les abus et à encourager la conservation menée par les communautés ne sont en grande partie qu’une façade. Ils occultent le fait que la situation des peuples autochtones perdure, à travers la dépossession, les difficultés économiques et la violence commise par les autorités des parcs, les forces de sécurité de l’État et les milices locales. Aucune des mesures annoncées ne s’attaque aux problèmes systémiques d’une industrie de la conservation dont la stratégie principale consiste à expulser les populations locales afin de créer une zone protégée. Les ONG de conservation espèrent simplement réduire les dommages collatéraux produits par ce qu’elles présument être une stratégie par ailleurs solide pour la protection de la faune sauvage. Les donateurs internationaux continuent de soutenir les modèles et les méthodes mis en place par ces grandes ONG de conservation, qui reçoivent 85 % du financement mondial de la conservation, tandis que les peuples autochtones et les communautés locales n’en reçoivent que 1 %.

Dans un rapport publié le mois dernier, De l'abus au pouvoir : mettre fin à la conservation des forteresses en République démocratique du CongoL'Oakland Institute détaille les coûts élevés de ce modèle de conservation pour les communautés locales et les populations autochtones, qui ont été exclues de leurs terres ancestrales, ont perdu leurs moyens de subsistance et ont été soumises à des violences atroces. Le rapport constate que les mesures proposées par les grandes ONG et les donateurs occidentaux sont insuffisantes pour remédier aux abus. De plus, il soutient que les efforts internationaux de conservation ont produit l'exact opposé de leur objectif affiché : protéger la biodiversité.

En RDC, de nombreuses aires protégées ont été vidées de leur présence humaine, les laissant sans protection et ouvertes à l’extraction de ressources. À Kahuzi-Biega et dans ses environs, les milices locales participent activement à l’extraction de minerais tels que le coltan. Les milices et les forces de sécurité de l’État ont recours à la violence pour empêcher les habitants de pénétrer dans les terres et permettre à cette extraction illicite de se poursuivre sans entrave. Pour John Knox, ancien rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme et l’environnement, la situation en RDC « ridiculise le concept même d’aires protégées ».

L’alternative à cette approche militarisée de « déserts sans population » – prônée par les communautés locales et les groupes de la société civile – est un modèle de conservation basé sur les droits humains et les droits fonciers coutumiers des communautés locales. Une nouvelle voie pour la conservation en RDC doit être ancrée dans un modèle radicalement différent dans lequel les communautés autochtones ne sont plus exclues de leurs terres ancestrales mais participent pleinement aux efforts de conservation et continuent d’être les gardiennes de leurs terres.

En 2022, le gouvernement congolais a adopté une nouvelle loi sur la protection et la promotion des droits des peuples autochtones. Il s’agit d’un pas dans la bonne direction, que la décision de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur les Batwa avait appelé de ses vœux. D’autres changements législatifs importants exigés par la Cour demeurent. Le plus difficile sera cependant sa mise en œuvre, qui nécessite le soutien et la participation de toutes les parties prenantes, y compris les acteurs internationaux. Les ONG de conservation influentes et bien financées doivent prendre des mesures significatives à cet égard et, au-delà du cas spécifique de Kahuzi-Biega, mettre en place la conservation menée par les communautés qu’elles ont promise à plusieurs reprises. Un tel changement est d’autant plus urgent dans le sillage des récents engagements mondiaux en faveur du plan 30×30 – promu par les mêmes organisations – selon lequel 30 % de la surface de la Terre serait placée sous une forme ou une autre de protection d’ici 2030 pour protéger la biodiversité mondiale.

Un changement de paradigme en matière de conservation serait capital, mais malheureusement insuffisant pour mettre un terme aux abus contre les communautés locales dans l’est de la RDC. Dans cette région, la violence et la corruption dans les AP – intrinsèquement liées à l’extraction des ressources naturelles – impliquent non seulement l’industrie de la conservation et le gouvernement congolais, mais aussi les pays et les entreprises voisins. La protection des populations et de la biodiversité nécessitera également de mettre un terme aux activités déstabilisatrices du Rwanda et de l’Ouganda et de prendre des mesures décisives pour empêcher le commerce des minerais de conflit.