Voici trois mesures que les gouvernements peuvent prendre pour réduire les risques d’accaparement des ressources vertes

Que peuvent faire les gouvernements pour atténuer les risques que les compensations carbone peuvent représenter pour les droits, les moyens de subsistance, la sécurité alimentaire et les écosystèmes ?

Ces dernières années, le rythme et l’ampleur des investissements à grande échelle dans les terres pour éliminer le carbone ont augmenté. Partout dans le monde, les investisseurs négocient des accords avec les pays en développement pour prendre le contrôle de vastes étendues de terres, souvent boisées. Le carbone fixé par ces terres est ensuite transformé en crédits carbone qui sont ensuite échangés sur les marchés internationaux du carbone.

Cette tendance est en partie due à l’Accord de Paris, qui permet aux pays et aux entreprises de « compenser » leurs émissions en investissant dans la réduction, l’évitement ou l’élimination du carbone ailleurs. Un rapport récent révèle que les gouvernements ont déjà proposé environ 1 milliard d’hectares de terres pour l’élimination du carbone dans le cadre de leurs engagements en matière d’atténuation du changement climatique. Une entreprise basée à Dubaï a négocié à elle seule des protocoles d’accord dans cinq pays africains pour prendre le contrôle de millions d’hectares de terres forestières afin de générer des crédits carbone.

Certains affirment que les accords de compensation carbone sont une solution gagnant-gagnant, car ils aident les pays et les entreprises à atteindre leurs objectifs de réduction des émissions tout en canalisant les financements vers les pays à revenu faible et intermédiaire. Beaucoup d’autres, cependant, remettent en question leurs avantages et soulignent les risques qu’ils représentent.

Les enquêtes menées par les médias et la société civile ont par exemple soulevé de sérieuses inquiétudes quant à la capacité des marchés du carbone à contribuer réellement à la réduction des émissions. Elles ont également mis en garde contre les conséquences de ces accords sur les peuples autochtones et les communautés locales.

Dans de nombreux cas, les gouvernements ont expulsé des peuples autochtones et des communautés locales pour ouvrir la voie à des projets de compensation carbone. Dans d’autres cas, les critiques ont accusé les accords de contrevenir aux lois locales qui accordent aux communautés des droits de propriété sur leurs terres coutumières. Ces affirmations sont préoccupantes en elles-mêmes, mais aussi troublantes étant donné les preuves qui suggèrent que les terres gérées par les peuples autochtones et les communautés locales sont bien mieux préservées que les terres sous d’autres formes de contrôle.

Comme lors de la ruée vers les terres dans les pays du Sud en 2009-2010, les vastes étendues de terres acquises aujourd’hui pour des projets de compensation carbone sont rarement inexploitées. Elles sont généralement occupées par des peuples autochtones et des communautés locales ou constituent une source principale de sécurité alimentaire et de moyens de subsistance. Ainsi, le manque de consultation des communautés observé dans les accords conclus en Afrique, en Amérique centrale et en Asie, associé à un manque de transparence et à l’incapacité à fournir les avantages promis, alimente les griefs des communautés concernées et va à l’encontre des objectifs de sécurité alimentaire et de résilience des écosystèmes.

Comment atténuer le risque d’accaparement des terres vertes

Ces préoccupations ont conduit à l’adoption de nouvelles mesures de protection lors des négociations sur le climat de Bonn en juin. Les négociateurs du gouvernement ont approuvé une procédure d’appel et de réclamation qui permettra aux communautés affectées de contester les projets d’élimination du carbone approuvés par l’ONU avant leur lancement et d’exprimer leurs griefs tout au long de leur durée.

C’est un pas dans la bonne direction, mais les gouvernements doivent rester vigilants. Ils doivent évaluer avec soin si les accords de compensation carbone profitent à leur population et favorisent les objectifs nationaux de développement durable. S’ils décident de conclure de tels accords, ils doivent concevoir et utiliser des cadres juridiques solides pour sélectionner, négocier et mettre en œuvre des projets de qualité.

Les mesures suivantes seront utiles.

1) Veiller à ce que des lois solides et appropriées soient en place et à ce que les accords soient négociés et mis en œuvre conformément à ces lois

Il est important que les gouvernements élaborent des lois solides prévoyant des mesures visant à protéger les droits des communautés locales, à atténuer les émissions et à réglementer la vente et la taxation des crédits carbone. Toutefois, des mécanismes d’application adéquats sont également nécessaires pour garantir le respect de ces lois.

Des lois complètes et bien appliquées restent le meilleur moyen de garantir que les investissements liés aux terres et aux autres ressources naturelles respectent les droits des titulaires légitimes de droits fonciers, favorisent la sécurité alimentaire locale et contribuent positivement au renforcement de la résilience climatique. Cela est particulièrement vrai pour les projets de compensation carbone. Des lois solides clarifient également les exigences relatives à l’utilisation durable des ressources naturelles d’un pays et les droits d’accès des communautés qui peuvent dépendre de ces ressources pour leur subsistance. Une sélection précoce et une diligence raisonnable appropriée d’une proposition d’investissement doivent être effectuées pour garantir que les investissements respectent les lois et les politiques nationales. Ces processus, qui sont dans l’intérêt de tous, réduisent le risque de pertes pour le gouvernement et la communauté.

Le cadre national du Ghana sur les marchés internationaux du carbone et les approches non marchandes, par exemple, fournit des principes directeurs et des exigences sur la manière dont doivent se dérouler l'autorisation, le suivi et la déclaration des transactions sur le marché volontaire du carbone et l'octroi d'une reconnaissance formelle aux crédits de compensation issus de projets de marché volontaire du carbone. Il met également l'accent sur la nécessité d'intégrité environnementale, de transparence et de promotion du développement durable.

Lorsque les lois ne sont pas à jour ou suffisamment solides pour traiter ces questions, les gouvernements peuvent se tourner vers leurs propres modèles de contrats élaborés au niveau national, qui intègrent les meilleures pratiques et principes internationaux en matière d’investissement responsable, comme base pour établir des accords justes et équitables avec les investisseurs. Un tel outil servirait de palliatif dans l’intervalle, pendant que les gouvernements s’efforcent de réformer leurs lois de manière plus globale. L’objectif des modèles de contrats est de contribuer à garantir que les baux fonciers à long terme sont conclus de manière responsable, avec les garanties nécessaires pour protéger les communautés locales, leurs moyens de subsistance et l’environnement.

2) Établir des mécanismes locaux de règlement des griefs appropriés pour les communautés affectées

Bien que l’approbation récente d’une procédure d’appel et de réclamation constitue une étape importante dans l’établissement d’un marché mondial du carbone dans le cadre de l’Accord de Paris, il reste encore beaucoup à faire pour offrir d’autres moyens aux populations et communautés concernées de faire valoir leurs droits, notamment dans le contexte des accords sur le carbone négociés en dehors du champ d’application de l’Accord de Paris.

Actuellement, un seul organisme de normalisation volontaire du marché du carbone, Gold Standard, offre aux communautés un recours approprié pour déposer des plaintes lorsqu’elles sont affectées par des projets climatiques. Dans ce cas, « approprié » signifie respecter les six critères clés des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme : accessibilité, transparence, prévisibilité, indépendance, adéquation et garanties pour les communautés. Il est essentiel que les gouvernements veillent à ce que les accords de compensation carbone qu’ils négocient prévoient des mécanismes de réclamation appropriés pour les populations et les communautés affectées.

3) Utilisez soigneusement les protocoles d’accord pour élaborer une feuille de route de collaboration et définir les étapes vers une mise en œuvre réussie du projet.

Les accords de compensation carbone débutent souvent par un protocole d’accord entre le gouvernement et l’investisseur, première étape formelle vers une collaboration. Cette première étape est cruciale, car de nombreux éléments importants doivent être pris en compte avant qu’un investissement ne soit réalisé et qu’un accord ne soit finalisé. Pourtant, malgré cela, les protocoles d’accord sont souvent bâclés ou peu examinés, car ils sont considérés comme des accords « souples » qui n’ont pas de conséquences juridiques et qui servent principalement à rassurer l’investisseur. Cette pratique représente une occasion manquée.

Des protocoles d’accord bien rédigés peuvent contribuer à garantir que les peuples autochtones et les communautés locales concernées par ces transactions sont correctement consultés en détaillant les modalités de cette consultation. En outre, un protocole d’accord peut également préciser quand un investisseur doit fournir des informations sur la proposition de projet d’investissement aux autorités gouvernementales compétentes pour leur permettre de « procéder à une vérification diligente et à un examen approfondis et systématiques du projet proposé en temps opportun ».


Les auteurs tiennent à remercier Suzy Nikièma pour sa contribution à cet article.